Pour la gauche, l’accusation tient le rôle de marqueur d’appartenance d’autant plus fort qu’il contredit la logique et la réalité des faits.
(Publié dans Le Point, pour Quillette, traduction : Peggy Sastre)
Lors d’un discours prononcé en octobre 2023, alors qu’Israël s’apprêtait à lancer son offensive terrestre sur la bande de Gaza, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a cité un verset de la Bible promis à une belle postérité dans les rapports d’ONG et les articles de presse : « Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait. » Pour qui ignore la mythologie biblique, la formule pourrait sembler anodine. Mais les critiques d’Israël y ont aussitôt vu une allusion à peine voilée. Dans le Livre de Samuel, ont-ils expliqué, Yahvé ordonne au roi Saül de « frapper » les Amalécites, sans épargner ni femmes ni enfants.
Le hic, c’est que Netanyahou ne citait pas le Livre de Samuel, mais celui du Deutéronome, qui rapporte un épisode bien plus ancien. Alors que les Israélites fuyaient l’Égypte, ils furent pris en traître par les Amalécites. Après cette lâche attaque, Yahvé leur ordonna : « Souviens-toi de ce que te fit Amalek pendant la route, lors de votre sortie d’Égypte, comment il te rencontra dans le chemin, et, sans aucune crainte de Dieu, tomba sur toi par-derrière, sur tous ceux qui se traînaient les derniers, pendant que tu étais las et épuisé toi-même. » À n’en pas douter, la portée de cette référence n’avait rien d’obscur pour son auditoire, sous le choc de l’attaque-surprise du Hamas le 7 Octobre.
Sauf que les détracteurs d’Israël n’ont rien voulu savoir. Selon eux, « Amalek » ne pouvait en aucun cas désigner le Hamas, puisqu’il s’agit d’une organisation et non d’un peuple, comme les Amalécites. Dès lors, affirmaient-ils, lorsque Netanyahou évoquait « Amalek », il visait nécessairement l’ensemble de la population palestinienne. Et comme, ailleurs dans la Bible, les Amalécites sont voués à l’anéantissement, le Premier ministre israélien appelait implicitement à son extermination. D’où le fait que « Souviens-toi d’Amalek » se soit retrouvé au cœur de l’accusation de génocide portée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye.
L’ironie veut qu’à quelques centaines de mètres seulement de la Cour internationale de justice se dresse un mémorial de l’Holocauste. Sur sa plaque de bronze, gravée en néerlandais et en hébreu, figure le même verset que celui cité par Netanyahou : « Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait. N’oublie pas. » Cette fois, la référence est explicite : Deutéronome 15:17-19. S’ils avaient pris la peine de vérifier, les détracteurs d’Israël auraient d’ailleurs retrouvé ce même verset à l’entrée de Yad Vashem, le musée de l’Holocauste à Jérusalem. Dans la culture juive, c’est un thème récurrent et solidement enraciné, qui exprime le devoir de mémoire face aux persécutions infligées au fil des siècles par des foules ou des régimes hostiles. (L’ambassadeur d’Allemagne aux Pays-Bas s’est-il indigné de cette « incitation au génocide » contre l’ensemble du peuple allemand ?)
Les faits relatifs à l’histoire et à la signification du verset sur Amalek sont d’une vérification aisée. Ils avaient d’ailleurs été rappelés dès les premiers jours de la guerre à Gaza, à l’heure des premières accusations visant la rhétorique prétendument « génocidaire » de Netanyahou. Qu’importe, médias et ONG ont persisté à relayer cette rumeur incendiaire, sans jamais juger utile de publier le moindre démenti.
Les omissions qui démentent l’« intention génocidaire »
Les exemples de ce genre de déformation abondent. Quelques jours après le 7 Octobre, l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, s’adressant à ses soldats, déclarait : « Gaza ne redeviendra pas comme auparavant. Il n’y aura plus de Hamas. Nous l’éliminerons complètement. » Mais dans l’extrait largement diffusé par la BBC, le New York Times, le Guardian et même dans la citation versée au dossier de la CIJ par l’Afrique du Sud, le milieu de la phrase a été soigneusement caviardé, laissant croire que Gallant promettait une élimination complète… de Gaza.
Aussi, on l’a accusé d’avoir traité les Palestiniens d’« animaux humains » – alors qu’il parlait du Hamas, qu’il qualifiait d’ailleurs d’« État islamique de Gaza ». De la même manière, Netanyahou n’a jamais déclaré que « les Gazaouis paieraient un prix énorme », contrairement à ce qu’ont affirmé, sans vérification, certains médias et même des universitaires un temps réputés. Il a seulement dit qu’Israël ferait « payer un prix énorme à l’ennemi », autrement dit au Hamas. Pas plus qu’il n’a menacé de transformer Gaza en « île déserte » : c’est une erreur de traduction d’Al-Jazeera – financée par le même régime qui soutient le Hamas.
Vient ensuite la déclaration du président israélien Isaac Herzog : « C’est toute une nation qui est responsable. Ce discours selon lequel les civils n’étaient pas au courant, n’étaient pas impliqués, est absolument faux. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique. » Une formulation certes maladroite et sujette à interprétation – même si l’on peut rappeler que certains historiens ont tenu des propos similaires à propos de la responsabilité collective du peuple allemand sous le nazisme.
Quoi qu’il en soit, dans ce même discours, Herzog prenait soin de préciser qu’« il y a beaucoup, beaucoup de Palestiniens innocents » qui ne seraient pas pris pour cible par l’armée israélienne. Avant d’ajouter : « Pour l’État d’Israël, et bien sûr pour moi personnellement, les civils innocents ne sont en aucun cas considérés comme des cibles. Il y a aussi des Palestiniens innocents à Gaza. Je suis profondément désolé pour la tragédie qu’ils endurent. Depuis le premier jour de la guerre, et jusqu’à aujourd’hui, j’ai appelé et œuvré en faveur d’une aide humanitaire pour eux, et pour eux seuls. Cela fait partie des valeurs de notre pays. »
Il va sans dire que ces propos du président israélien n’ont été repris ni dans le dossier présenté par l’Afrique du Sud devant la CIJ, ni dans aucun rapport d’ONG. Idem pour le flot continu de déclarations officielles – conférences de presse, briefings de l’armée israélienne, publications sur les réseaux sociaux depuis le 8 octobre 2023 – réaffirmant que « les opérations militaires d’Israël à Gaza visent uniquement le Hamas, le Jihad islamique et d’autres groupes armés », que l’armée israélienne « ne cible pas intentionnellement les civils et ne cherche pas à nuire à la population civile », et qu’Israël « fait tout son possible pour limiter les pertes civiles ».
Je n’ai pas souvenir d’un autre cas où une malhonnêteté aussi flagrante se serait retrouvée dans des rapports présentés comme sérieux ou dans des documents juridiques. Tous reprennent la même litanie de citations tronquées, déformées ou inventées de toutes pièces, attribuées à des responsables israéliens – parfois quelques mots juxtaposés, comme s’il fallait y voir une nouvelle conférence de Wannsee. Oui, certains Israéliens ont tenu des propos odieux dans la foulée du massacre perpétré par le Hamas, mais il s’agissait de personnalités sans aucun pouvoir de décision militaire : rabbins extrémistes, députés, officiers à la retraite ou éditorialistes. (Et l’on peut effectivement reprocher à Israël de ne pas faire davantage pour sanctionner de tels débordements.)
Bien que révoltantes, de telles déclarations relèvent de la rhétorique belliqueuse propre à toutes les guerres, sans rapport avec les ordres explicites ni la chaîne de commandement requis pour établir une véritable intention génocidaire. Même les propos haineux tenus par les ministres d’extrême droite des Finances et de la Sécurité nationale, aussi condamnables soient-ils, ne sauraient en apporter la preuve : ces politiciens ne siègent pas au cabinet de guerre et ne participent pas à la définition de la stratégie militaire. Ce sont, pour la plupart, des boutefeux extrémistes cherchant avant tout à flatter et galvaniser leur base politique.
L’épreuve des faits et des chiffres
Si la guerre de Gaza est effectivement un génocide, alors il s’agit du plus raté de l’Histoire. Si Israël avait réellement voulu se servir du massacre du 7 Octobre comme prétexte à une extermination de masse, il lui aurait suffi de raser toute la bande de Gaza sous les bombes sans exposer la vie d’un seul de ses soldats. Sauf qu’Israël a perdu plus de 900 militaires au cours de sa campagne (et plusieurs milliers ont été blessés), précisément parce qu’il a choisi d’entrer dans l’enclave à pied et de ne pas frapper à l’aveugle.
Même selon les propres chiffres du Hamas – qui ne distinguent pas entre combattants et civils –, la majorité des morts sont des hommes en âge de combattre, ce qui contredit toute idée de politique d’extermination indiscriminée. Le Hamas avait d’abord tenté de berner l’opinion mondiale en affirmant que « 70 % des victimes de la guerre de Gaza » étaient « des femmes et des enfants », avant que cette statistique ne s’effondre sous les vérifications et ne soit discrètement retirée.
Israël a également autorisé l’entrée de dizaines de milliers de camions chargés de denrées alimentaires et de matériel médical, organisé des pauses et ouvert des corridors humanitaires, allant jusqu’à faciliter une campagne de vaccination contre la polio en pleine guerre. Ce n’est pas là le comportement d’un État cherchant à exterminer une population. Même la décision provisoire de la CIJ reconnaît qu’Israël a assuré la fourniture d’eau, de nourriture et d’assistance médicale à Gaza pendant une grande partie du conflit – des faits difficilement compatibles avec l’accusation de famine délibérée.
Dès le début du conflit, les objectifs militaires d’Israël étaient on ne peut plus clairs : récupérer ses otages et obtenir la reddition ainsi que le désarmement du Hamas. Aujourd’hui que le Hamas a libéré les otages survivants qu’il détenait à Gaza et accepté de restituer les dépouilles des Israéliens tués, les combats ont cessé. Si le Hamas se conforme au plan de paix de Donald Trump en déposant les armes et en renonçant à tout rôle dans la gouvernance palestinienne, la guerre prendra fin – comme Israël l’a toujours affirmé, une fois ses objectifs atteints.
Pourquoi, alors, cette guerre a-t-elle fait tant de victimes civiles, malgré les efforts d’Israël ? Parce que le Hamas ne se contente pas d’être indifférent aux pertes civiles : il les recherche délibérément, en fait un rouage de sa stratégie militaire. Il a creusé des centaines de kilomètres de tunnels pour protéger ses combattants, mais pas un seul abri pour ses femmes et ses enfants. Il tire sciemment depuis des hôpitaux, des écoles, des bâtiments de l’ONU, des mosquées ou à proximité de zones humanitaires.
Mentir pour ostraciser, délégitimer et boycotter
Conscient qu’il ne peut affronter l’armée israélienne sur le champ de bataille, le Hamas mise sur une autre arme, bien plus redoutable : la conscience morale de la communauté internationale. En sacrifiant des femmes et des enfants, puis en diffusant leurs images et le décompte des morts dans les médias du monde entier, il espère pousser les nations occidentales à ostraciser, délégitimer et boycotter Israël.
L’absurdité de l’accusation de génocide ne doit pas faire oublier les critiques légitimes concernant les erreurs commises par Israël au cours de ce conflit. Ces derniers mois en particulier, certaines décisions ont relevé d’une inconséquence désolante. La volonté de soustraire l’aide humanitaire au contrôle du Hamas pour instaurer un système de distribution alternatif paraissait sensée au départ, mais le blocus de onze semaines imposé pour accroître la pression sur le mouvement islamiste fut une faute, à la fois morale et stratégique. Ce genre de tactique ne pouvait fonctionner face à une organisation djihadiste qui se sert de boucliers humains pour multiplier les victimes civiles dans son propre camp. L’exploitation cynique de la souffrance palestinienne afin d’attiser la pression internationale sur Israël constitue, depuis toujours, le cœur de la stratégie du Hamas.
Quoi qu’il en soit, rien, dans la conduite d’Israël au cours des deux dernières années, ne traduit une « intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », selon la définition du génocide donnée par l’ONU. Il est parfaitement légitime de reprocher à Israël de ne pas avoir pris toutes les précautions possibles pour épargner les civils lors de certaines opérations, ou de contester les jugements de proportionnalité ayant précédé telle ou telle frappe. Mais la simple formulation de ces critiques suppose que la protection des vies civiles fait partie intégrante du calcul moral de l’armée israélienne.
La seule entité véritablement génocidaire dans ce conflit reste le Hamas, dont la charte apocalyptique appelle à l’éradication du peuple juif et qui a promis, sans la moindre ambiguïté, de recommencer le pogrom du 7 Octobre dès qu’il en aura l’occasion.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ont bombardé sans distinction des villes allemandes et japonaises, sans le moindre avertissement d’évacuation, tuant parfois jusqu’à 30 000 civils en une seule nuit. Ces pertes n’étaient pas de simples « dommages collatéraux », mais faisaient partie intégrante d’une stratégie visant à « démoraliser » les populations de l’Axe et à les retourner contre leurs régimes. Les Alliés n’ont jamais fourni ni nourriture, ni eau, ni électricité aux civils allemands ; ils ont au contraire imposé un blocus naval qui limitait sévèrement l’accès du pays aux minéraux, au carburant et à la nourriture. L’opération de minage des eaux japonaises portait d’ailleurs un nom explicite : Operation Starvation – « opération famine ».
Les méthodes alliées furent bien plus brutales que tout ce qu’Israël a entrepris dans la bande de Gaza, et pourtant, personne n’a jamais accusé rétrospectivement les Alliés de « génocide ». Comme me l’a confié le politologue Shany Mor, il n’existe aucune définition raisonnable du terme qui puisse englober la campagne militaire actuelle à Gaza tout en excluant les bombardements alliés de la Seconde Guerre mondiale.
Un signe d’allégeance idéologique
Les nombreuses inventions et déformations relevées dans l’affaire du prétendu génocide israélien témoignent d’une démarche étrangère à toute recherche rationnelle ou à toute quête de vérité. Comment expliquer cette frénésie, dès les premiers jours de la guerre, à traquer la moindre déclaration d’un responsable israélien pour la détourner et y déceler une intention génocidaire ?
Comment comprendre cet aveuglement volontaire face à la brutalité du Hamas, au point d’effacer purement et simplement son existence, comme si cette guerre n’avait qu’un seul protagoniste ? Et pourquoi la définition même du génocide est-elle instrumentalisée par certaines ONG pour incriminer Israël, alors que, dans le même temps, la population palestinienne est passée de 1,1 million à 5,1 millions d’habitants entre 1960 et 2020 ?
La réponse, c’est que la calomnie du « génocide de Gaza » est devenue, pour une partie de la gauche, l’équivalent du mythe de « l’élection volée » pour la droite américaine : une accusation sans fondement, brandie comme un signe d’allégeance idéologique précisément parce qu’elle défie la logique et les faits. C’est pourquoi des absurdités comme l’affaire du verset sur Amalek continuent d’être ressassées, imperméables à toute rectification : il ne s’agit pas d’établir la vérité, mais de conforter une conviction déjà forgée.
Comme pour le mensonge sur le vol électoral, il y a tout lieu de penser que nombre de ceux qui répètent celui du « génocide à Gaza » n’y croient pas vraiment. Les détracteurs d’Israël les mieux informés, ceux qui connaissent la définition juridique du génocide, savent pertinemment qu’une armée qui émet des avertissements d’évacuation et facilite l’acheminement de l’aide humanitaire poursuit un tout autre objectif. Et quiconque s’intéresse sincèrement à l’éthique de la guerre devrait être en mesure de faire la différence morale entre des civils tués involontairement, malgré des efforts imparfaits pour les épargner, et ceux qui sont délibérément et systématiquement massacrés.
Un plan de paix pire qu’un « génocide » ?
Curieusement, beaucoup de ceux qui ont accusé Israël de génocide ont peu goûté à la proposition de paix américano-israélienne – certains l’ont même qualifiée de « néocoloniale », allant jusqu’à l’assimiler à une « capitulation » et appelant les Palestiniens à la rejeter. La rapporteuse spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, a dénoncé ce plan comme le « piège du siècle » et a validé un fil sur X affirmant qu’il « devait être combattu et rejeté ». Employer le terme « piège » suppose qu’Israël aurait, en secret, réservé aux Palestiniens quelque chose de pire encore. Pire que l’extermination qui, selon les propres dires d’Albanese, serait en cours ?
Une incohérence tout aussi flagrante était perceptible dès le début du conflit. Quiconque croyait réellement que la guerre de Gaza servait de prétexte à un génocide aurait dû exiger de l’Égypte qu’elle ouvre ses frontières pour permettre aux civils de fuir vers le Sinaï. Or, les militants n’ont rien fait de tel ; beaucoup se sont même indignés à la seule idée que l’Égypte puisse ouvrir le passage de Rafah aux réfugiés de Gaza. Et lorsque Le Caire a, à l’inverse, renforcé ses frontières – malgré les démarches diplomatiques d’Israël – et déclaré être « prêt à sacrifier des millions de vies pour que personne ne s’approche d’un grain de sable du Sinaï », les militants ont soutenu l’attitude égyptienne et condamné Israël. Pourquoi, demandaient-ils, l’Égypte participerait-elle au « nettoyage ethnique » d’Israël ?
Il est intéressant de se demander combien de républicains croient réellement que Donald Trump a remporté l’élection de 2020. Comme l’a écrit Musa al-Gharbi, le « grand mensonge » semble « relever davantage d’une posture sociale que d’une conviction aussi sincère que relative à la vérité ». Il est néanmoins évident que quiconque refuse de soutenir avec assez de ferveur le mythe Stop the Steal n’a aucun avenir au sein du Parti républicain.
De la même façon, l’accusation selon laquelle Israël commettrait un génocide à Gaza est devenue un test de loyauté idéologique – un mot de passe que tout progressiste respectable doit prononcer avec l’intonation attendue. La moindre divergence, la moindre réserve est proscrite, et toute autre forme de critique du comportement d’Israël jugée irrecevable. Le recteur de ma propre université a d’ailleurs récemment averti que tout chercheur qui remettrait en cause le récit du génocide « franchirait une ligne rouge » et ne bénéficierait plus de la protection de la liberté académique.
« Sionazisme », « Gazacauste », le frisson de la Shoah inversée
Cela pose une question d’ordre psychologique : parmi toutes les contre-vérités dont les progressistes auraient pu se servir pour afficher leur loyauté tribale, pourquoi avoir choisi celle-ci ? Un indice se trouve sans doute dans les références récurrentes à l’Holocauste. Bien avant le 7 octobre, une partie de l’extrême gauche manifestait une fascination morbide à l’idée d’accuser les Juifs du même crime dont ils avaient été victimes. Souvent de la manière la plus grossière, en forgeant des mots-valises comme « sionazisme » ou « gazacauste ». Cet empressement trahit ce que le juriste Matthew Bolton a décrit comme « le frisson transgressif que procure l’inversion – et donc, en fin de compte, l’annulation – de la Shoah ». Ce désir n’est pas né le 7 octobre 2023 : comme l’a montré notamment l’historien Norman Goda, des accusations de génocide ont visé l’État juif tout au long de son existence.
Selon la vision manichéenne du monde opposant victimes et oppresseurs, et dominant aujourd’hui une large partie du discours progressiste, les juifs sont perçus comme « proches des Blancs » et donc comptables de tous les péchés de l’Occident colonial. Cette logique trouve un appui dans les théories universitaires du colonialisme de peuplement.
Comme le souligne Adam Kirsch dans On Settler Colonialism, ces théories considèrent le génocide comme une composante inhérente au projet colonial lui-même. Dans cette perspective, l’existence même d’Israël devient génocidaire : « Si Israël est un État colonial, et si le colonialisme implique le génocide, alors il est idéologiquement nécessaire qu’Israël commette un génocide. »
Un récent article universitaire sur la guerre de Gaza le formule ainsi : « Le génocide est une caractéristique fondamentale de la structure du colonialisme de peuplement. C’est un processus, non un événement. » Autrement dit, même si la guerre est terminée, Israël continuerait de « commettre un génocide » simplement en continuant d’exister.
Après le 7 Octobre, cette pathologie s’est propagée comme une métastase, quittant les marges de la gauche universitaire pour gagner le cœur du courant progressiste dominant. Dans les universités européennes, contester l’idée qu’Israël commet un génocide est désormais perçu comme un délit passible d’annulation – l’équivalent moral du négationnisme de la Shoah. Beaucoup de mes collègues n’osent plus exprimer leur opinion sur la question de Gaza.
Heureusement, certains commencent à réagir : des centaines d’universitaires ont récemment signé une lettre ouverte affirmant que « diluer les normes juridiques [du génocide] à des fins idéologiques est une forme de violence morale ». Mais ils demeurent une infime minorité. Le fait qu’un mensonge aussi manifeste jouisse aujourd’hui d’un consensus quasi unanime dans les universités, les médias, la société civile et l’écosystème des ONG – toute dissidence se payant d’un lourd prix social – constitue un implacable réquisitoire contre la prétendue rationalité de nos institutions libérales.