Comment faire vaciller les partis d’extrême droite

Il y a deux semaines, la Flandre a donc à nouveau connu un “dimanche noir”. La caractéristique des “dimanches noirs”, selon le philosophe belge Maarten Boudry (Université de Gand) qui signe cette tribune dans le NRC Handelsblad, est que ceux qui expriment leur plus grand dégoût à ce sujet, constituent la principale raison qui perpétue cette tradition.

En 1989, le politicien progressiste Jos Geysels avait convaincu les autres partis de mettre en place ensemble un “cordon sanitaire” qui exclurait à jamais le parti du pouvoir. Le Vlaams Blok a ainsi pu soigneusement cultiver son rôle de victime. Quel plus beau cadeau pour un parti anti-establishment qu’une conspiration collective de l’ensemble de l’establishment contre lui? L’électeur souhaitant lever le majeur dans l’urne savait quel bulletin colorier.

Le cordon “intellectuel” qui a entouré le Vlaams Block fut encore plus dommageable. Ce n’est pas seulement le parti lui-même qui est devenu intouchable mais aussi les thèmes qu’il a exploités sur le plan électoral. Traditionnellement, la sagesse politique a toujours été la suivante: gardons le silence sur les problèmes liés à la migration et à l’islam, sinon “nous ferons le jeu du Vlaams Block”. Avec cette stratégie impie, presque tout le monde a fini par quitter le terrain de la migration, donnant carte blanche au Vlaams Block.
Plus les autres se taisaient, plus le Block pouvait se présenter de manière crédible comme “le seul” parti à prendre au sérieux à ce sujet. Ce devoir de silence sur la migration a été largement rompu de nos jours, mais il est consternant que la même logique du “faire le jeu du peuple” remplisse à nouveau les journaux. Les autres partis auraient ainsi ouvert la voie au Vlaams Belang en parlant plus fort de la migration et de l’Islam. Ils auraient “intégré” leurs idées et “adopté” leurs recettes. L’idée sous-jacente est que si vous vous dirigez vers un parti radical, ce parti en profitera toujours, car les gens préfèrent “l’original à la copie”. C’est plausible mais le raisonnement n’a pas de sens.
Si vous voulez faire tomber un parti radical de droite, vous devez développer une histoire forte sur les thèmes électoraux qu’il exploite au lieu d’avoir peur de votre propre ombre. C’est exactement ce qu’a fait la sociale-démocrate Mette Frederiksen au Danemark cette semaine. Son parti a brillamment remporté les élections et a écrasé le Parti populaire populiste de droite grâce à sa politique migratoire plus stricte. Frederiksen n’a pas été intimidée par les accusations (là aussi) selon lesquelles elle “suivait la droite populiste”.
La vérité est que nous avons eu un autre dimanche noir en Flandre, malgré et non grâce aux positions plus dures des autres partis de centre droit. Les politologues qui exercent des pressions morales sur les autres partis pour qu’ils ne discutent pas des thèmes de l’extrême droite sont déjà en train de semer les graines du prochain dimanche noir car les préoccupations au sujet de la migration et de l’islam (à tort ou à raison) ne se dissiperont pas d’elles-mêmes.

(L’Echo, 12/6/2019)